Extraits Prémices et fonds de poches
Premières solitudes de Claire Simon
raconte-moi je n'en sais rien
pour commencer la si longue fin de l'hiver
pour commencer la musique ment
c'est évident un accord n'est pas simple
entre nous mon silence et tes phrases
avant de se nouer vont se perdre
se reprendre
d'une curieuse danse
où nos voix
fragiles nous dévoilent
et tu apprendras te racontant
autant de moi ainsi de suite
et j'apprendrai t'écoutant
comme nous parvenons à être
par les mots
à redevenir
seuls et certains que nous autres vivons
vraiment
depuis que je te parle
depuis qu'on écoute
le vent regarde
apporte déjà sur les herbes
une autre chaleur
puis nous finirons une de nos vies
avec la phrase ouverte
puisque les mots ne tiennent pas seuls
et une question réanime
les souvenirs
penses-tu que je les incarne
autant qu'ils me hantent
et quel avenir
muet je n'en sais rien je te dirai
mais j'y saute sans fin tu vois comme c'est haut
*
Le goût du riz au thé vert de Yasujirō Ozu
il faut appuyer doucement sur les deuils de nos vies
nous sommes les ombres
tu vois
qui passent derrière ces murs
et tombent lentement
sans quitter l'inquiétude
jamais lasse qui nous veille
à la lampe le soir
je te laisse
rien
imaginer un reflet
le goût du thé ou l'odeur des violettes
à qui sans fin tu dis au revoir
et s'approchent de l'horizon vide
connais-tu
maintenant tu dois me l'apprendre
le nom de ce pays
simplement l'enfance que je voulais taire
où tes yeux tendrement
chaque soir partaient
les gestes y sont plus doux
tannés par le temps et l'amour
vient après
*
Leto de Kirill Serebrennikov
pas ressemblants
ces vers longent les plages du film
sa lumière elle limpide
l'été
jusqu'ici ne passe pas
demain est arrivé et les cendres
j'écris
loin de l'écran non à même
une chanson
vide
ton visage une expression aussi vide
que dire un arbre
sans réalité sans le désigner
ici
rien
de vos désirs
n'est arrivé ni deviné
alors laisser faire
laisser les souvenirs des yeux
vivaces d'une autre énergie
sans conflit se lier
à vos images défuntes
à l'accord des mélancolies fidèles
d'où tendrement les voix répètent
appelle-moi
appelle-moi vraiment
*
Girl de Lukas Dhont
rappelle-moi la chaleur d'un prénom
tu comprends dis-moi encore
qui je suis déjà puisque le temps s'étire
sans moi
à se décoller de lui
le corps est trop lent
regarde-moi ailleurs
où je poursuis
l'impulsion de me fuir
je ne veux plus
que la lumière hésite
mais qu'elle s'ouvre
entre deux pas
et à nouveau cède
après rupture seulement
nous pourrons nous rejoindre
*
Cold war de Pawel Pawlikowski
le visage fatigué
continue le chant ailleurs
avec le silence des pierres
souviens-toi
nous avons pu respirer
au fil de l'eau simplement
le corps oublie qu'il se noie
attendre ainsi
avec le jour l'arrivée de l'ombre
dans les herbes
le frisson du vent ne ment pas
puisqu'il abat l'horizon
ici
nous étions si proches
de nous quitter
traverser
encore une fois ce refrain aggrave nos solitudes
allons
nos visages finissent
un peu plus loin
malgré nous avec
cette histoire qu'on aimerait
seulement nôtre
*
Heureux comme Lazzaro d'Alice Rochwacher
maintenant reprends souffle
cette traître la lune relève encore le jour
on ne croit plus tu comprends
le vent ne fait rien s'il sort de nos lèvres
je te raconte souviens-toi
une nuit il y a longtemps
nous avions vu la tache rouge
au bout du ciel nous pensions à un feu
immense une fin de monde
loin de nous or on entaillait le nôtre
le poison pénétrait lentement là
au-dessus des bois des crêtes puis tombait
sur nous
les terres conquises s'étendaient à notre éternité
nous ne connaissions pas les mots de notre vie
je te les donne
l'esclavage l'évasion
l'argent le progrès
social la banque
comme avant la marquise
et le loup qu'on pensait seule menace
quand tu es mort j'aimais
me raconter son histoire
enfin tu es là
je peux dire tendrement
à nouveau ton nom
chaque nuit et la musique rêveuse qu'il porte
(Poèmes publiés dans le numéro 76 de Diérèse)